La Manufacture Royale de Villeneuvette - Page 4

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le secteur de la sidérurgie autour du Creusot.
A Villeneuvette, où les portails se ferment à 21 heures, chacun à sa place et ses tâches, dirigé et surveillé par le patron. Les ouvriers et leurs familles acceptent cette autorité qui leur offre cependant la sécurité et une certaine aisance.

Mais les troubles politiques de la Révolution s’étendent encore dans le reste de l’Europe, un bouleversement approche dans le secteur des technologies de l’énergie dont l’ampleur éclipsera tous les progrès obtenus jusqu’à présent.
Dès 1769 la première machine à vapeur à basse pression et à effet direct, développée par James Watt, est brevetée, dès 1787 sa machine à vapeur à basse pression, avec rotation et double effet est utilisée dans les manufactures textiles en Angleterre. La révolution industrielle est lancée. Ce n’est pas un hasard que l’industrie textile soit l’une des premières branches à profiter de cette nouvelle technique. L’eau reste une partie indispensable au processus de production et elle est utilisée dès le début comme source d’énergie. Et en 1810 la nouvelle ère commence aussi à Villeneuvette avec l’installation de la première machine à vapeur encore installée au milieu de l’atelier.
Pour un métier dans lequel on avait travaillé jusqu`à ce temps exclusivement à la main c’était un changement lourd de conséquences. C’était Gerhard Hauptmann qui décrivait ce conflit dans sa pièce « Les tisserands ».
Mais l’émeute dans la manufacture ne survient pas. Hercule et Casimir Maistre, les fils de Joseph Maistre, dirigent maintenant l’entreprise. Ils décident de fonder une caisse d’épargne pour les collaborateurs. Casimir surtout est ce qu’on peut appeler un personnage paternel. Né dans la maison familiale des Maître il exerce conjointement avec son frère un pouvoir autoritaire, mais juste dans lequel l’appartenance à l’église catholique est obligatoire.

A l’occasion des premières émeutes dans l'industrie textile au milieu du 19 siècle les ouvriers à Villeneuvette s’arment. Probablement plutôt pour résister aux collègues républicains des villes alentour, qui tentent de les impliquer dans leurs querelles sociales.
Ainsi la manufacture se trouve très vite classée dans la réputation d’être un abcès catholique réactionnaire dans le cœur du Midi rouge. » …un reste de régime féodal disparu qu’on ne peut plus tolérer …» comme le considère le conseil municipal de Clermont-l’Hérault en colère. Les républicains reprochent aux Maistre de maintenir l’esclavage. Par contre une seule grève est relatée dans l’histoire de la manufacture. Elle éclate le 23 juin 1917 avec une revendication d’augmentation de salaire et elle est très vite terminée, après que les Maistre l’ont accordée.

La mécanisation du processus de travail se développant par l’utilisation de la force motrice à vapeur n’est appliquée qu’à contre cœur à Villeneuvette. Les anciennes turbines, entraînées par l’énergie hydraulique continuent à être encore en service avec la force motrice à vapeur. On peut néanmoins supposer que les chutes totales de production à cause du rééquipement complet aient joué un rôle. Un deuxième bassin très coûteux est ainsi construit en 1834 à une hauteur de 62 mètres au-dessus des ateliers. Ce complément en eau doit s’effectuer par delà un long canal de 2 km et demi dans lequel doit être intégré un siphon de 170 m de longueur et de 33 m de profondeur pour franchir la pente de la vallée. On ne sait pas si ce projet a effectivement été réalisé.
Une deuxième chaufferie trouve son emplacement en face de la maison des maîtres sur les fondations d’un atelier qui n’a pas été achevé le long de la Grand’rue. Et dès 1860, le dernier bâtiment immense s’élève isolé et équipé d’une cheminée très haute, située sur la longueur du bassin.
Moins de trente ans plus tard après la mise en marche de cette troisième chaufferie, en fait située en dehors de l’enceinte de l’usine une deuxième révolution industrielle se fait jour : celle liée à l’électricité.
Ceci finit par surmener la technique de production. Les transmissions demandant beaucoup d’énergie devraient céder aux installations électriques. Plutôt sans conviction on construit deux halls en métal et verre, pour l’installation des métiers à tisser électriques. Mais il manque non seulement des moyens financiers mais aussi les conditions préalables pour mettre en œuvre de façon efficace les remaniements techniques nécessaires. Bien sûr que la concurrence qui entend se débarrasser d’un postulant gênant le sait bien.

La manufacture dispose alors de 120 métiers à tisser mais malgré un état des carnets de commandes plus favorable pendant la première guerre mondiale la faillite ne peut être évitée. D’autres entreprises sont mieux équipées techniquement, travaillent à des plus prix avantageux, et reçoivent donc plus de commandes, gagnent plus et ont un meilleur accès aux capitaux. Le label de qualité des produits de la manufacture de Villeneuvette n’est plus qu'une formule vide de sens.
On arrive donc au stade final de la deuxième révolution industrielle avec la prédominance de la machine sur l’homme et la concurrence impitoyable allant de pair avec ces seuls mots d’ordre : « plus vite » et « moins cher ».
Et c ‘est ainsi que finalement en 1954 –281 ans après sa fondation- on arrive au terme fatal d’un lieu de travail où la responsabilité sociale était la première obligation de l’employeur.

Aujourd’hui, en 2014, juste soixante ans plus tard, des femmes et des enfants qui fabriquent des vêtements en Asie dans des bâtiments vétustes pour un salaire de famine sont tués par les ruines de leur lieu de travail.

Voilà, c’est aussi pour cette raison j’ai écrit ce rapport.

Dieter J Baumgart

REFLECHIR

Aristote rêvait, avec ou sans effroi, l'His¬toire ne le dit pas, du jour où les métiers à tisser tisseraient tout seul, des métiers dont les navettes iraient et viendraient toutes seules.
Nous y sommes.
Et le tisserand, au lieu de laisser son nouveau métier tisser tout seul, d'aller, par exemple, voir dehors si le printemps est arrivé, s'est retrouvé plongé dans l'hiver de ceux qui ne savent plus ce qu'ils font sur Terre. En effet, au lieu de continuer à commander des tapis au tisserand, en se disant, en bon marchand, qu'un tisserand qui sait dire où s'est posée la première hirondelle, est un bon tisserand, que grâce au nouveau métier avec une navette si débrouillarde, ses tapis auraient enfin l'odeur de l'été, les couleurs de l'automne, qu'ils seraient enfin chauds en hiver, et tendres au prin¬temps... au lieu de se dire de belles choses comme ça, le marchand de tapis a fait ses comptes et acheté un métier à tisser sans tisserand.
Evidemment, si le marchand a fait le sacrifice d'avoir des tapis moins beaux à vendre, c'est que maintenant, ils sont moins chers. Un vrai sacrifice, ses tapis auraient pu sentir la primevère, fabriqués en été et vendus en hiver; ils auraient eu des douceurs jamais connues jusque là grâce au temps que le tisserand aurait eu à ne plus s'occuper de sa navette, ni de rien d'autre, sinon de faire de beaux tapis. Maintenant, sans tisserand, les tapis du marchand ne seront jamais plus rien que des tapis.
Mais pour le moment, le mar¬chand est content. Pour être mar¬chand, il n'a plus besoin de per¬sonne, seulement d'avoir quelque chose à vendre. Et pour ça, rien de mieux que sa machine qui marche toute seule. Quant au tisserand, tant pis pour lui, il n'avait qu'à devenir marchand de tapis. Aujourd'hui, les tapis ont besoin de marchands, pas de tisserands. C'est sûr que c'est un peu bizarre, se dit parfois le marchand, faire de l'argent sans avoir besoin de personne, sinon de clients, ça fait réfléchir, même un marchand.
Mais ces moments-là, c'est quand sa digestion, devenue diffi¬cile, le réveille de sa sieste. Seule¬ment, pas plus. I1 manque d'exer¬cice. Plus besoin de personne, ni donc d'aller voir personne, surtout pas le tisserand pour discuter avec lui... Et puis le tisserand est parti, loin d'ici, il ne pouvait plus vivre comme un bon citoyen, on n'avait plus rien à faire de lui…
Mais tout de même, de temps en temps, le marchand se dit qu'il y a quelque chose d'étrange dans sa situation. Gagner de 1'argent en n'ayant plus besoin de personne, ça fait drôle. Et, au fond de lui-même, il en est presque à regretter les ennuis que lui causait le tisserand. Ces arti¬sans, ces artistes, des gens bien compliqués, mais si drôles.
Allez ! Au diable la mélancolie, le monde change, il est à ceux qui changeront avec lui. Et puis, il est marchand, le marchand, pas philosophe, ni politicien. Lui, il vend des tapis. Le reste ne le concerne pas. Et si demain le caravanier perd son travail parce qu'on n'a plus besoin de chameaux, de cara¬vanes... qu'y pourrait-il, le, le mar¬chand de tapis ? Si demain, tous ces gens qui vivent de leur travail, n'ont plus de travail, ce n'est pas son affaire. Tant qu'il aura des clients à qui vendre ses tapis pas chers... Mais là ! Ce n'est pas la diges¬tion, qui le met debout, mais une horrible sueur froide. Qui donc est son meilleur client, sinon le carava¬nier ? Des tapis, lui, il en a besoin, un par chameau et presque à chaque voyage, une mine d'or, ce carava¬nier ! Et Si demain on trouve des chameaux qui n'ont plus besoin de caravanier, ou des marchandises sans caravanes, il perdrait son meilleur client.
Allons, ses nerfs le trahissent, il faudra qu'il s'invente une petite promenade quotidienne pour remplacer ce maudit tisserand. Ce n'est pas demain la veille qu'on n'aura plus besoin du travail des hommes. Ce qui est vrai pour les tapis, ne l'est pas pour les chameliers, pour les potiers, et pour, et pour... tous les métiers de tous ces si bons clients, tous ces métiers qui deman¬dent de vraies compétences.
Ce n'est pas demain que l'on interdira aux hommes de travailler. Le travail est un devoir, il y va de la dignité. Ridicule, ce cauchemar !
Mais c'est vrai que le départ du tisserand lui a laissé un vide. Ca lui apprendra à être si sensible. Un marchand de tapis n'a pas à avoir des nerfs, des sentiments... Les hommes, interdits de travail ? Mais c'est ridicule une idée pareille. Encore une idée d’artiste...

Rodolphe Clauteaux

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